Si les courants superficiels de l'océan sont maintenant bien connus, les courants à 1000m de profondeur restent largement mystérieux, faute de mesures suffisantes.
En utilisant les positions des flotteurs Argo qui dérivent à 1000m dans l'Océan Pacifique Equatorial, des chercheurs du LEGOS ont observé une organisation surprenante des courants profonds, en larges bandes de courants s'écoulant zonalement d'ouest en est ou d'est en ouest, s'inversant tous les 150 km de latitude. Comprendre la dynamique de ces jets zonaux reste une gageure théorique.
Les courants présents dans les couches superficielles de l'océan sont mesurés depuis plusieurs décennies de façon directe lors de campagnes océanographiques, ou à des points fixes sur des mouillages courantométriques. Ils le sont aussi de façon indirecte, à partir des propriétés hydrologiques des masses d'eau.
L'avènement de l'altimétrie satellitaire, en mesurant les hauteurs de mer, a permis d'avoir une vision globale des courants de surface que l'on sait s'enrouler autour des bosses et des creux de l'océan. Sous 500 mètres de profondeur, en revanche, la circulation océanique reste encore largement inconnue car elle ne peut être mesurée qu'épisodiquement.
Depuis quelques années, les océanographes ont un nouveau moyen d'avoir accès à la circulation océanique profonde : l'utilisation des dérives des flotteurs profileurs du programme international Argo. Grâce à ce programme, des milliers de flotteurs ont été disséminés sur tout l'océan depuis 2003.
Ils sont programmés pour descendre à une profondeur de parking (souvent 1000m) où ils dérivent avec les courants pendant 9 jours. Puis, ils plongent à 2000m et réalisent des profils verticaux de température, de salinité et parfois d'oxygène jusqu'à la surface, où ils transmettent leurs données et leurs positions.
A l'aide de ces positions avant et après chaque plongée, il est possible de déduire les courants à 1000m pendant les 9 jours de dérive. Ce n'est pas l'objectif premier de ce programme, mais une utilisation secondaire bien utile.
Des chercheurs du LEGOS, en collaboration avec un chercheur de la NOAA basé au PMEL à Seattle, ont calculé à partir de toutes les plongées des flotteurs Argo présents dans le Pacifique Equatorial depuis 2003 une carte moyenne à haute résolution spatiale des courants océaniques à 1000m.
Et ils ont fait une découverte surprenante : l'existence de courants très organisés sur l'ensemble du bassin, avec une structure spatiale totalement différente des courants de surface. Ils ont observé une sorte de feuilletage en latitude de bandes de courants zonaux de directions opposées.
Ces jets, étroits, s'écoulent zonalement d'ouest en est ou d'est en ouest à environ 5-10 cm/s sur près de 12000 kilomètres, et s'intercalent en changeant de sens régulièrement tous les 150 km en latitude.
On savait déjà grâce à des campagnes ponctuelles qu'il existait à certaines longitudes, autour de l'équateur, une telle alternance horizontale de bandes de courants. Cette nouvelle étude montre l'existence de tels "jets zonaux" dans l'ensemble du bassin équatorial, de la côte ouest jusqu'au continent américain, de 10°S à 10°N.
Ces résultats fournissent pour la première fois une vue globale de ces "jets zonaux", de leur extension zonale et méridienne.
Ces jets pourraient transporter sur de grandes distances des masses d'eaux équatoriales avec des propriétés physiques et chimiques différentes : comprendre l'importance de ces jets pour le mélange et le transport des eaux est donc un enjeu important.
Quelle est l'extension verticale de ces jets? Comment varient-ils? Autant de questions auxquelles il faudra répondre en effectuant de nouvelles mesures. Pourquoi sont-ils organisés de telle manière?
L'existence de ce système de jets zonaux alternés n'est en effet pas bien expliquée à ce jour, et leur dynamique n'est pas bien comprise. Ces résultats posent donc de nouveaux défis scientifiques à notre compréhension de la dynamique océanique auxquels les théoriciens vont devoir s'atteler.
Dim 24 Juin - 14:49