Un rapport d'experts indépendants dénonce l'insuffisance des tests de résistance et de leurs conclusions.
Le rapport commandité par Greenpeace et rédigé par Oda Becker, docteur en physique, et Antonia Wenisch, experte en énergie nucléaire de l'Institut d'écologie de Vienne, critique l'inconséquence du rapport sur les tests européens. De quoi alarmer le Grand-Duché, en première ligne en cas d'accident en France ou en Belgique.
De notre journaliste
Camille Leroux-Frati
Les rapports se suivent et ne se ressemblent pas depuis que le Conseil européen, sous la pression de l'opinion publique effarée par la catastrophe de Fukushima, a diligenté des tests de résistance pour les centrales nucléaires européennes. Les exploitants, EDF en France ou Electrabel en Belgique, ont rendu leurs rapports à l'automne 2011. Les autorités de sûreté nucléaire de 17 pays européens ont épluché ces rapports et rendu leurs conclusions au printemps dernier, avec un rapport final issu de vérifications croisées, publié en avril. Dieter Majer, expert allemand respecté, avait déjà souligné en mars l'insuffisance des tests et des conclusions après les avoir passés en revue pour le compte de la Rhénanie-Palatinat, de la Sarre et du Luxembourg. Ses critiques rejoignent celles d'Oda Becker et d'Antonia Wenisch publiées en mai dernier dans un Rapport critique sur les tests de résistance européens pratiqués sur les centrales nucléaires. Celui-ci examine le rapport concernant treize centrales situées dans dix pays (France, Allemagne, Belgique, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse et Royaume-Uni).
«Les scénarios sont incomplets, ils n'intègrent pas la possibilité d'un incendie interne ou d'un accident d'avion», indique Oda Becker. Qui soulève d'autres lacunes générales : la non prise en compte de la qualité des éléments de sécurité, souvent vieillissants, ni d'aspects corollaires comme la formation du personnel et la gestion de la sécurité. «L'une de nos principales critiques est qu'aucun niveau de sécurité n'est défini, et on ne sait pas non plus ce qui se passe quand ce niveau n'est pas atteint.»
Tihange menacée d'inondation
Le rapport épingle encore le fait que les tests ont été réalisés par des experts non indépendants puisqu'affiliés aux exploitants. Et «ceux-ci n'ont aucun intérêt à demander d'onéreuses mesures demodernisation». Les autorités de sûreté nationales ne lui semble pas plus indépendantes : «Ce sont elles qui ont validé les mesures de sécurité des centrales». Quant au rapport final issu du contrôle des tests par des experts d'autres pays, ce n'est pas mieux : «Ils ne vont pas se critiquer entre pairs...»
Oda Becker s'est attardée sur les centrales les plus proches du Luxembourg. Les mesures «recommandées» pour sécuriser Tihange, qui présente un fort risque d'inondation de la Meuse, sont insuffisantes ou lointaines. «Or l'eau du réacteur risque de s'évaporer et le cœur du réacteur pourrait fondre en moins de trois heures, c'est tellement rapide qu'il paraît impossible d'évacuer la population» avant la contamination.
La protection des centrales françaises de Cattenom, Gravelines et Fessenheim face au risque d'inondation ou de séisme inquiète aussi Oda Becker. «Et Cattenom a enregistré récemment une anomalie de niveau 2, il faut l'arrêter pour l'examiner.»
Autant de lacunes relevées par le rapport officiel. «Mais il se contente de "saluer" ou de "recommander" des mesures plus fermes, alors qu'il faut dire que des améliorations significatives sont nécessaires dans tous les réacteurs», assène Oda Becker.
«Il est indispensable que le gouvernement luxembourgeois continue son engagement pour une sortie du nucléaire au niveau européen et contre une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires des pays voisins.», conclut Roger Spautz, chargé de la campagne nucléaire chez Greenpeace Luxembourg, qui a transmis une copie du rapport à la division de la Radioprotection du ministère de la Santé.
Une simulation alarmante
Greenpeace a dévoilé hier quatre cartes de l'Europe, élaborées par le projet FlexRisk financé par le Klima+Energie Fonds en Autriche. L'objectif : simuler les conséquences d'un accident nucléaire et l'étendue de la contamination aux alentours. Qu'il s'agisse de Cattenom, de Fessenheim, de Doel ou encore de Tihange, le Luxembourg figure invariablement parmi les zones les plus touchées par le nuage radioactif qui s'échapperait de ces réacteurs. En cas d'accident à Fessenheim, le nuage le plus dangereux couvrirait le nord-est de la France et le Benelux. Une catastrophe à Tihange ou à Doel laisserait échapper des particules qui couvriraient le Luxembourg et l'Europe de l'Est.