Barbarin : "Le sort des Roms, un poids sur notre conscience"
INTERVIEW - Vendredi, le cardinal Barbarin a rencontré à Lyon le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. La veille, plus de 200 Roms ont été délogés d'un camp situé dans le centre de Lyon. Depuis le mois d’août plus de 700 Roms ont été expulsés dans la région lyonnaise. Pour le primat des Gaules,
l'Eglise doit être au côté de la communauté rom. Pourquoi la question des " Roms ", dont beaucoup sont chrétiens, vous heurte-t-elle?
Jamais notre prière n'a fait abstraction des questions de la vie sociale, encore moins des souffrances des hommes. On peut dire que notre prière est marquée par les conditions de vie de la société dans laquelle nous nous trouvons. L'exemple le plus récent, ce sont les Roms. Il y a environ 15 000 Roms en France, et près d'un millier à Lyon. Ceux de Lyon ont donc une place toute particulière dans notre prière. Jésus a dit : " Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous ".
Nous ne serons jamais en repos dans notre attention à ceux qui sont en situation de grande précarité.Ce sont les expulsions qui ont repris ces dernières semaines qui vous préoccupent?
Le sort des Roms m'interpelle depuis bien avant cela. Pratiquement depuis mon premier jour à l'archevêché de Lyon, en 2002. Le premier samedi après mon installation à Lyon, je suis allé à Vaux-en-Velin, avant la messe du soir, passer trois heures dans un camp de Roms juste à côté de l'église. Je célèbre souvent des baptêmes et des confirmations dans la communauté rom. J'ai passé mon premier Noël à Lyon avec eux, en jouant avec les enfants, en apportant des cadeaux. En 2004, il est arrivé un drame épouvantable,
un drame de l'indifférence, sur lequel on a fermé les yeux, et j'en ai honte. Deux jeunes filles Roms de quinze ans ont péri dans l'incendie de leur roulotte dans le camp de Surville, au sud de Lyon. J'ai célébré leurs funérailles et les adolescentes ont été enterrées en Roumanie. Les parents m'avaient dit aux funérailles : nous reviendrons en France, parce que
" tout, sauf la Roumanie ".
Concrètement que fait l'Eglise?
Plusieurs évêques concernés se sont exprimés sur le sujet. A Marseille, 49 prêtres ont dénoncé dans une lettre au maire les expulsions des Roms. Cette semaine, la Conférence des évêques a signé le texte " sortir les Roms de la marginalité ", encourageant les pouvoirs publics à travailler sans relâche à leur insertion. Depuis l'été 2010, les choses ont pris un retentissement plus considérable à Lyon.
Des paroisses de notre diocèse ont ouvert des locaux, une crypte… chacune selon ses moyens. Je bénis le Seigneur de voir que des Roms ont été accueillis dans les paroisses de Gerland, Villeurbanne, de Vaux-en-Velin. A Villeurbanne, un curé et des paroissiens se sont occupés d'une famille de Roms pendant plus d'un an. Aujourd'hui, tous se réjouissent de voir qu'elle a obtenu un visa de séjour et que les enfants sont scolarisés.Vous a-t-on reproché d'ouvrir les églises aux Roms?
Aucune autorité civile ne nous a reproché de nous occuper des Roms. Nous n'allons pas contre une décision de justice ou une décision de l'Etat. Nous faisons simplement
notre devoir de chrétiens ordinaires, finalement. Mais certains ont reproché au curé de Gerland d'accueillir des Roms en lui disant que la crypte n'était pas un lieu pour dormir. Et il a répondu :
" Et le trottoir, c'est un lieu qui convient ? ". Pendant plusieurs mois, il a ouvert la crypte de son église et beaucoup de paroissiens se sont mobilisés, pour l'hygiène, les poubelles, la nourriture, le couchage, pour protéger l'intimité de chaque famille, aménager des espaces.
Mais pendant ce temps-là, les expulsions se multipliaient ! Et c'est encore le cas actuellement…
Oui, je le déplore et au cours de ces dernières semaines, des démantèlements ont eu lieu avant même que la décision de justice n'ait été rendue. Quand j'ai demandé pourquoi, on m'a répondu que lorsque c'était pour des raisons sanitaires il n'y avait pas besoin d'avis d'expulsion. C'est un poids dans notre conscience d'assister à tout cela. Certains disent que les camps sont des verrues dans le paysage des villes, que c'est laid. Mais où sont les Roms, maintenant ?
Ils errent dans nos villes, sur le trottoir ou sous des ponts… Vous trouvez que c'est plus décent ? En outre, tout le monde sait que si on les expulse en Roumanie, ils sont de retour quelques mois ou semaines plus tard. Ces mesures ne sont pas une solution, mais plutôt un cautère sur une jambe de bois. J’ai fait part de toutes ces inquiétudes à Manuel Valls.
Attendiez-vous d'un gouvernement de gauche un autre traitement de la question Roms?
Nous ne sommes pas là pour donner des leçons à un gouvernement ou un autre. Notre position n'est pas jamais politique, au sens de partisane.
C'est un choix social, une exigence de charité, une conséquence de notre baptême. Inévitablement, selon les sujets évoqués, on se met à classer l'Eglise à droite ou à gauche, mais cela m'est égal. Ce n'est pas à nous de dire qui a ou qui n'a pas le droit de vivre dans notre pays.
Quand quelqu'un est là, sa vie mérite, attention, respect et dignité.
Nous devons être " au charbon ", toujours auprès de ceux qui souffrent, qui manquent de tout et qui ont besoin de nous. Les gouvernants, eux, ont des choix politiques à faire. Peut-on accueillir des gens dans ce pays ? Oui, on le doit. Y a-t-il un seuil ? Oui, il faut être réaliste. Le problème est celui des limites, de l'équilibre social, de la colère qui monte, de notre capacité d'accueil.
il était temps d'avoir AU MOINS la réaction de l'Eglise à Lyon...faute de l'avoir en France !