Maurice Gruau, 82 ans, le curé pour qui "l'Eglise se casse la gueule"
Créé le 02-11-2012 à 11h16 - Mis à jour à 11h16
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Nouvel Observateur
PARIS - Il a été curé mais aussi journaliste, prof de fac et a partagé un temps la vie d'une femme: de cette trajectoire atypique, Maurice Gruau, 82 ans, a conclu que l'Eglise "se casse la gueule" et que les prêtres doivent travailler et se marier pour "être au monde".
"Ce n'est pas tenable!", lance ce svelte petit retraité, le cheveux blanc clairsemé, l'oeil clair et rieur, dans une interview . "Nous avons aujourd'hui des cadres et un pape rétrogrades au possible et qui disent des choses tout droit sorties d'un autre âge", estime l'ancien curé de campagne, qui publie, le 8 novembre, "Naissance d'un vieux prêtre" (Ed. Métailié).
"Parler du mariage homosexuel n'est pas le rôle de l'Eglise", ajoute-t-il, attablé devant une bière. Comment de vieux célibataires peuvent-ils porter un jugement sur cela?, s'interroge l'octogénaire qui fut prêtre en Mayenne, puis en Bourgogne et aumônier des prisons.
"L'Eglise est là pour transmettre l'Evangile, rien de plus", juge-t-il. "Chacun doit rester à sa place".
Mais lui n'a pas hésité à s'affranchir des règles: il reconnaît avoir partagé quelques années la vie d'une femme: un "amour semi-clandestin", "seuls quelques amis étaient au courant". "J'ai aimé cette femme" et ce fut "une lumière spirituelle extraordinaire" qui "m'a permis de devenir pleinement un homme et de mieux comprendre les autres et Dieu", affirme-t-il.
Aujourd'hui, au crépuscule de sa vie, il affirme ne rien regretter. Très jeune, dès sa première communion à 7 ans, il a su qu'il voulait être prêtre malgré les réticences de son père, très anticlérical. "Pourtant je ne serais pas resté prêtre toute ma vie si je n'avais pas eu d'autres activités en parallèle", confesse-t-il, estimant qu'un prêtre doit pouvoir être entouré d'une famille et travailler.
"Si aujourd'hui le pape autorisait les prêtres à se marier (...) ce serait le signe fort d'une Eglise capable de revoir ses préjugés antiques", écrit-il.
Erreur monumentale
Ce fan de rock et de peinture contemporaine, qui parle grec et latin, a repris, alors qu'il était déjà prêtre, des études de linguistique et d'anthropologie. Doctorat en poche, il est donc devenu prof à la faculté de Rennes, mais est resté curé de campagne. Plus tard, il a aussi dirigé comme rédacteur en chef deux publications catholiques.
"C'est une erreur d'imposer aux prêtres d'être enfermés dans la sacristie. Cela détourne des gens de cette vocation et les coupe de la vie réelle", estime-t-il, précisant que 9 sur 11 de ses coreligionnaires ordonnés comme lui à Laval en 1955 ont renoncé au service de l'Eglise.
Cette crise des vocations est un vrai sujet de préoccupation pour Maurice Gruau, qui déplore la légèreté des cadres de l'Eglise sur cette question: "une entreprise qui perdrait 90% de ses cadres aurait des motifs de s'interroger sur les raisons de cette hémorragie et sur l'avenir de l'entreprise".
Pourtant cet ancien fumeur de pipe qui se nourrit depuis 30 ans d'un unique repas par jour, se souvient avec émotion de l'enthousiasme provoqué par Vatican II. "Le problème c'est que rapidement l'Institution a fait machine arrière, d'abord doucement puis ensuite plus nettement". Une "erreur monumentale".
Ce "prêtre de gauche", comme il se décrit lui-même, veut toutefois rester optimiste. "Le discours ecclésial est fichu mais pas le discours évangélique. J'appelle de mes voeux une église plus fraternelle, moins coincée où les gens reviendraient".