En Côte d'Ivoire, la population de chimpanzés en liberté a diminué de 90 % en moins de vingt ans
LE MONDE | 22.10.08 | 13h05 • Mis à jour le 22.10.08 | 17h08 Réagir Classer E-mail
S'il fallait une nouvelle preuve des ravages de la déforestation massive, les chimpanzés viennent de la fournir. Pour la première fois depuis dix-sept ans, une estimation détaillée de leur population en Côte d'Ivoire a été rendue publique. Elle révèle que dans ce pays en proie depuis 2002 à une grave crise politique, les effectifs de notre plus proche cousin ont chuté de 90 %, comparés à ceux de 1990.
Un million de chimpanzés en 1960 dans 21 pays africains, moins de 100 000 aujourd'hui dans 17 pays : malgré les cris d'alarme répétés des primatologues, le déclin de l'espèce s'accélère. A ce rythme, tous l'affirment, elle aura disparu de la planète au milieu de ce siècle, ainsi que les autres grands singes (bonobos, gorilles, orangs-outangs). On ne dispose toutefois que de rares estimations sur les effectifs réels de ces primates, qui se déplacent en liberté dans des forêts immenses et difficiles d'accès.
Le plus souvent, les chercheurs en sont donc réduits à procéder par extrapolation : ils évaluent sur une portion de territoire les indices de présence des grands singes (nids, traces, excréments), puis, partant de cet échantillon, estiment la population sur tout le territoire. Un travail de longue haleine, qui n'aurait pas pu, dans le cas de la Côte d'Ivoire, être réalisé sans la motivation de son instigateur. Directeur du département de primatologie du Max-Planck Institute de Leipzig (Allemagne), Christophe Boesch, en effet, est également fondateur et président de la Wild Chimpanzee Foundation, ONG dont le but est de promouvoir la survie des dernières populations de chimpanzés sauvages et de leur habitat.
RECENSEMENT
"Alors que la Côte d'Ivoire comptait, en 1990, entre 8 000 et 12 000 chimpanzés, leur nombre ne doit plus guère dépasser le millier d'individus", précise M. Boesch. Publié dans la revue Current Biology (datée du 13 octobre), le détail de ce recensement, conduit de juillet à décembre 2007, ne laisse guère place au doute : sur les onze sites où a été mené le repérage des nids, quatre appartenaient lors du survol précédent à des parcs nationaux et six à des forêts classées - autrement dit aux habitats de prédilection des chimpanzés.
"Ces données révèlent à quelle incroyable vitesse la situation se détériore. Mais elles indiquent également la solution pour éviter le pire", analyse le chercheur. Le parc national de la Marahoué, qui abritait naguère 900 chimpanzés, mais dont la protection a été abandonnée dès le début de la crise politique ivoirienne, a été presque entièrement remplacé par des plantations de café et de cacao. En revanche, dans le parc national de Taï où la communauté internationale a poursuivi le programme de conservation en cours, les effectifs ont certes baissé, mais se sont maintenus à près de 500 individus. Un contraste qui montre clairement la nécessité de faire de la sauvegarde sur le long terme. Celle de nos cousins primates mais, bien plus encore, celle de leurs habitats.
"Sauver les grands singes, c'est sauver les forêts tropicales", rappelaient les primatologues dans un manifeste lancé au printemps sur Internet (
www.apesmanifesto.org). Aux gouvernements et aux instances internationales, ils demandaient notamment de tout mettre en oeuvre pour interdire "l'importation de bois tropicaux non reconnus comme provenant d'un commerce respectueux de l'environnement". Le manifeste a recueilli 17 000 signatures à ce jour. Un nombre dérisoire au regard des conséquences dramatiques qu'entraîne le commerce illégal du bois, que la Commission européenne vient timidement de prendre en compte (Le Monde du 19-20 octobre). L'humanité peut sans doute se passer des grands singes. Mais elle aura plus de mal à se remettre du réchauffement climatique, auquel la déforestation des massifs tropicaux, qui libère près d'un milliard de tonnes de gaz carbonique par an, contribue au premier chef.
Catherine Vincent
Article paru dans l'édition du 23.10.08.