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 Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens.

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Date d'inscription : 25/04/2008

Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens. Empty
MessageSujet: Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens.   Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens. Icon_minitimeVen 4 Sep - 14:58

Nietzsche avait proclamé la mort de Dieu, Hegel annoncé la fin de l'histoire, Foucault diagnostiqué la mort de l'homme. Les philosophes ont toujours guetté les crépuscules. Il faut constater aujourd'hui que nous assistons au crépuscule des prisons, non parce qu'elles sont mal gérées, mais parce qu'elles ne font plus sens.





Les suicides qui se multiplient dans les prisons sont autant de symptômes de la fin d'un système pénal et carcéral. Cette accélération des suicides n'est pas seulement due au surpeuplement des lieux de détention : elle constitue une mise en question de notre société devant l'absurdité de son système punitif.

Au XXIe siècle, enfermer quelqu'un dans une prison, ce n'est pas le punir : c'est agir par paresse et par prolongement d'un système archaïque, dépassé et inadapté aux sociétés postmodernes. L'abolition de la peine de mort réalisée par la gauche paraissait logique et sociologiquement inéluctable ; elle ne fut que paralogique et paradoxale. Il faut se rendre à l'évidence : le suicide tue plus dans les prisons que la peine de mort ne l'a jamais fait.

Foucault a montré que la fin des supplices en public consacrait l'avènement de l'Etat moderne qui manifestait son pouvoir dans le secret et à l'abri des regards. La dissimulation des chiffres réels des suicides dans les prisons n'est rien d'autre que la poursuite de ce processus qui ne convient plus aux sociétés postmodernes, dont les citoyens sont hyperinformés et communiquent en réseau.

Depuis 1977 et l'exécution d'Hamida Djandoubi, il n'y a plus aucune mort donnée par l'Etat et son bourreau ; en revanche, sur la même période, ce sont au moins 3 000 morts par suicide qu'il faut recenser, morts dans lesquelles l'Etat, et donc chaque citoyen, doit prendre sa part de responsabilité. La gauche a cru blanchir son âme en abolissant la peine de mort : elle s'est en fait lavé les mains d'un problème fondamental de notre société.

L'abolition de la peine de mort constitua ainsi moins l'avènement symbolique de la gauche que l'événement signant la défaite de sa pensée. Loin de résoudre un problème moral et politique placé sous la bannière des droits de l'homme, l'abolition de la peine de mort en 1981 a sanctifié la prison et sanctuarisé la punition comme enfermement. La gauche n'a fait qu'entériner un vaste mouvement de société dans lequel la sensiblerie le dispute à l'hypocrisie.

Qu'est-ce que punir ? Il y a dans la punition deux dimensions : celle de la sanction et celle de la réparation. Il faut que le puni comprenne sa faute. La sanction - faut-il rappeler que le mot a la même racine que le sacré - doit conduire le fautif à reconnaître que ce qu'il a fait n'aurait pas dû l'être. Elle suppose un dispositif symbolique que notre justice expéditive et encombrée ne risque pas de mettre en oeuvre. Il faut ensuite que le puni répare sa faute : c'est là encore un travail que l'appareil judiciaire devrait accomplir avec le puni. Qui peut dire que le tribunal et la prison sont des lieux de prise de conscience et de prise en charge du puni vers la compréhension de sa faute et de sa punition ?

A trop vouloir que l'enfermement soit la solution universelle des crimes et délits, le remède à toutes les fautes, on en oublie ce que punir veut dire. Or, punir signifie accueillir celui qui a mal agi pour l'inciter à mieux agir. Il n'y a pas de punition sans volonté de correction, c'est-à-dire sans projet de relever celui qui est "tombé". La prison n'était autrefois qu'un sas, un moment provisoire entre la liberté fautive et la punition. Par un mouvement généralisé d'adoucissement des moeurs, la punition s'est estompée pour ne laisser que la détention. L'emprisonnement, qui n'était qu'un moyen vers la punition, est devenu une fin. Le déficit de sens est donc patent. Au fond, le puni n'a pas le sentiment de l'être : il attend inconsciemment une punition qui ne vient pas. Une grande part des suicides peut s'expliquer par ce déficit de sens.

De nombreux philosophes ont fréquenté la prison. L'emprisonnement de Socrate a fourni à Platon l'occasion de brosser dans le Phédon un portrait de son maître qui soutient que nous sommes tous assignés à résidence par les dieux. Diderot et Sade ont été embastillés pour leurs écrits. Mais c'est à Foucault, qui s'est rendu en prison comme simple visiteur et militant du Groupe d'information sur les prisons, qu'on doit une analyse de l'impasse du système carcéral qui n'a donné lieu à ce jour à aucune refonte. Les prisons sont pleines, mais vides de sens. La peine de mort n'a mis fin ni à la mort ni à la peine dans les prisons. Les ministres de la justice se succèdent sans idées ni courage.

Cinq solutions paraissent à terme inévitables :

- Libérer les punis qui ne peuvent sortir du système carcéral qu'humiliés, violés et désespérés. Utiliser pour ce faire la technologie à notre disposition ;

- Fermer les prisons insalubres et commencer à construire des lieux qui auront été repensés non par des bétonneurs, mais par des femmes et des hommes qui se soucient du sens de la punition ;

- Convertir les prisons salubres en lieux de réintégration sociale - y compris pour des gens désintégrés socialement qui n'ont commis ni crime ni délit -, et ne garder des lieux de détention que pour une minorité de prisonniers qui ne doivent pas échapper à la punition que leur réserve la société ;

- Réformer le code pénal à partir d'une réflexion collective sur la punition qui redéfinisse fautes, crimes, délits, ainsi que les sanctions auxquelles les contrevenants s'exposent. Cette réflexion doit intégrer les avis de ceux qui sont en prison et de ceux qui y ont séjourné. Elle doit faire l'objet d'une réflexion sociétale, d'un débat parlementaire et d'un référendum ;

- Enseigner des règles de vie, et non seulement des textes de loi, dans tous les secteurs de notre société et non seulement à l'école. On ne peut pas enseigner le fair-play dans le sport et, dans le même temps, l'obsession de gagner par tous les moyens.

On ne peut pas motiver les employés d'une entreprise dont les dirigeants ne croient pas aux produits qu'elle fabrique, privilégiant l'augmentation de marges bénéficiaires et gardant les yeux rivés sur le cours de ses actions. On ne peut pas demander aux fonctionnaires de servir l'intérêt général quand les plus hauts dignitaires et hiérarques de l'administration et de l'Etat ont d'abord le sens de leur carrière et de l'intérêt particulier.

Alors que le monde vit une nouvelle Renaissance dont le Web est la fenêtre la plus largement ouverte, les sociétés occidentales continuent d'instituer les lieux d'enfermement comme des passages obligés pour certains âges de la vie ou certains comportements. Sortons de cette vision close de la société, et commençons d'abord par sortir les prisonniers de leur prison en réfléchissant à ce que la société attend d'eux, en dehors de leur date de libération. Les suicides dans les prisons sont un symptôme d'une société malade et repliée sur elle-même qui ne sait plus punir et donc pas guérir. En commençant par une réforme de son système judiciaire, la société française pourrait retrouver une dynamique qu'elle ne soupçonne pas. La vérité de notre société se cache dans ses oubliettes.

Emmanuel Jaffelin professeur de philosophie au lycée Lakanal à Sceaux (Hauts-de-Seine).

Article paru dans l'édition du 05.09.09. du Monde
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