Depuis 2002, Rajendra Pachauri est le Président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui réunit des milliers de scientifiques du monde entier. Cet organe a été créé en 1988 par le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et l'Organisation météorologique mondiale (OMM) avec pour but de fournir aux gouvernements une vision scientifique claire de l'évolution du climat mondial. En 2007, le GIEC a publié son quatrième rapport d'évaluation, qui a constaté que le monde clairement se réchauffait en raison des activités humaines. Cette année-là, le groupe d'experts et l'ancien vice-président américain Al Gore ont partagé le Prix Nobel de la paix pour leur travail destiné à faire prendre conscience des changements climatiques dus à l'homme.
Centre d'actualités de l'ONU : Vous avez commencé votre carrière comme ingénieur en mécanique en Inde. Comment vous êtes-vous retrouvé à être impliqué dans les questions sur le changement climatique ?
Rajendra Pachauri : C'est une transition intéressante. J'étais toujours intéressé par les sujets liés à l'énergie et j'ai travaillé comme économiste spécialisé dans l'énergie. J'ai examiné pendant un certain temps les questions liées à la demande dans le secteur de l'énergie et au fur et à mesure je me suis intéressé à l'impact sur l'environnement de la production et de la consommation d'énergie. Il y a plus de 20 ans, je me suis intéressé au changement climatique quand j'ai réalisé que celui-ci pouvait avoir un rôle dévastateur.
Centre d'actualités : Quelle était la perception commune concernant le changement climatique quand vous vous y êtes intéressé pour la première fois il y a 20 ans ? Comment avez-vous vu augmenter le sentiment d'urgence concernant ce sujet ?
Rajendra Pachauri : Je pense que les choses ont beaucoup évolué dans ce domaine. En 1988, quand le GIEC a été créé et quand je me suis profondément intéressé à l'étude du changement climatique, il n'y avait pas de preuves convaincantes et nous avancions avec ce que la science nous disait. Mais maintenant nous avons des observations, nous avons toute une série de données qui montrent que le changement climatique est une réalité. Ce qui est aussi très significatif est que l'essentiel de ce qui s'est passé au cours des 50 dernières années en termes de changement climatique est le résultat des activités humaines. Je pense que le niveau de connaissance dans ce domaine a évolué si rapidement que nous n'avons vraiment aucune raison d'avoir de doute scientifique sur l'impact des activités humaines sur le climat.
Centre d'actualités : Après le quatrième rapport du GIEC publié en 2007, le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a déclaré que « la science est claire : le changement climatique provoqué par l'homme est une réalité prouvée ». Cette étude a aussi montré que si le monde continue sur cette voie, les émissions de gaz à effet de serre augmenteront de 25 à 90% d'ici à 2030, comparé à 2000. Pensez-vous que les gouvernements comprennent la nécessité d'agir immédiatement ?
Rajendra Pachauri : De plus en plus et malheureusement, il y a des intérêts personnels et l'inertie en matière de pensée de la part des gens. Tout ceci, j'en ai peur, ralentit le processus par lequel nous pourrions arriver à un accord au niveau mondial. Aussi il est malencontreux que les dirigeants dans la plupart des pays, même s'ils comprennent ce qui doit être fait, se cachent derrière des intérêts dits nationaux, étroits et à très court terme.
Centre d'actualités : Les dirigeants du G20 se sont réunis en juillet en Italie, où ils se sont mis d'accord sur un objectif à long terme de réduction des émissions gaz à effet de serre d'ici à 2050. Ils ont déclaré que la température moyenne mondiale ne devrait pas augmenter de plus de 2 degrés. Qu'est ce que les dirigeants de ces pays auraient dû conclure à cette réunion ?
Rajendra Pachauri : C'était un développement positif qu'ils aient fixé les 2 degrés comme objectif de stabilisation du climat de la Terre. Mais quelqu'un aurait dû leur dire que pour atteindre cette limite, ils doivent garantir, comme le GIEC l'a dit, que les émissions mondiales atteignent un pic d'ici à 2015. Ils ont complètement perdu de vue ceci. Ce qu'on pouvait espérer est qu'en maintenant l'objectif de 2 degrés, ils réduiraient leurs émissions de manière substantielle d'ici à 2020. Mais sans cette réduction, l'objectif de 2 degrés semble vain. Je pense que c'est un sérieux point faible.
Centre d'actualités : En 2007, les Etats se sont mis d'accord sur une « feuille de route » à une conférence des Nations Unies sur le climat à Bali (Indonésie) pour négocier pendant deux ans sur les efforts accrus nécessaires pour combattre, atténuer et s'adapter au réchauffement climatique. Ces discussions doivent être conclues en décembre à Copenhague avec un nouvel accord devant entrer en vigueur après l'expiration en 2012 de la première période d'engagement du Protocole de Kyoto, qui cherche à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre. Quel est le meilleur résultat possible de la prochaine conférence dans la capitale danoise ?
Rajendra Pachauri : Je pense que nous avons besoin d'une série de décisions, et l'une d'entre elles devrait limiter les émissions de gaz à effet de serre. A Bali, ce qui a été discuté était une réduction de 25 à 40% par les pays développés. Cela a été abandonné plus ou moins à la dernière minute, et je pense que nous avons besoin de revenir à ce niveau de réduction d'ici à 2020. Nous avons aussi besoin d'un engagement à fournir le soutien financier approprié aux pays en développement à la fois pour l'atténuation et l'adaptation. Certainement un accès à la technologie serait nécessaire.
Centre d'actualités : Certains Etats plus riches sont réticents à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre alors que les plus pauvres demandent des ressources et la technologie pour combattre le changement climatique. Comment convaincriez-vous à la fois les pays développés et en développement que réduire les émissions est de l'intérêt de tous ?
Rajendra Pachauri : La seule façon de convaincre les pays en développement est que les pays développés prennent les mesures adéquates. Malheureusement, le monde développé n'a vraiment rien fait. Le Protocole de Kyoto est reconnu plutôt par sa violation que par l'adhésion aux limites qui ont été fixées. Je pense qu'il y a une perte de crédibilité de la part des pays développés. Je pense que nous avons besoin de prendre de fermes engagements alors que historiquement le problème est le résultat des émissions du monde développé, d'un point de vue cumulatif.
Centre d'actualités : Quelle est l'importance de la prochaine conférence de Copenhague ? Comment est ce que vous caractériseriez le poids des décisions qui seront prises à cette réunion ?
Rajendra Pachauri : Il est nécessaire de souligner que si nous n'arrivons pas à un accord et que le monde continue d'augmenter ses émissions de gaz à effet de serre, le changement climatique se produire et aura des effets très graves qui se feront sentir dans plusieurs parties du monde. C'est clairement dans l'intérêt de personne, quel que soit l'endroit où vous vivez. D'autre part, cet accord nous permettra au niveau mondial de travailler dans un esprit de coopération et de procéder à de profondes réductions d'émissions de gaz à effet de serre comme la feuille de route de Bali le spécifie, ce qui permettra de stabiliser le climat de la Terre. Par conséquent, Copenhague est un événement auquel la communauté internationale travaille et est une étape extrêmement importante pour garantir que tout le monde s'implique à résoudre ce problème.
Centre d'actualités : En tant que l'un des visages du combat mondial contre le changement climatique, que faites-vous dans votre vie personnelle pour réduire votre empreinte carbone ? Qu'est ce que les gens au niveau individuel peuvent faire pour lutter contre le changement climatique ?
Rajendra Pachauri : Il y a un domaine dans lequel malheureusement je me sens coupable d'une empreinte carbone plutôt importante et il s'agit des voyages. C'est quelque chose contre lequel je ne peux pas faire grand-chose car je dois diffuser le message. Je dois aller partout dans le monde et je dois convaincre les gens qu'il s'agit d'un problème sérieux que nous devons traiter. Mais en termes de style de vie, je fais attention à ne pas être un trop grand consommateur. Je ne suis pas un consumériste, qui achète et jette. Je fais attention concernant les moyens de transport que j'utilise dans ma vie quotidienne. Je m'assure de maintenir le thermostat du climatiseur à un niveau élevé afin de sentir un certain degré d'inconfort. Plus important, je suis devenu végétarien avec les années parce que la production de viande est extrêmement consommatrice d'énergie. Je m'assure que quand je me déplace d'une pièce à l'autre, j'éteins les lumières et ne les laisse pas allumées quand je n'en ai pas besoin.