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 «Pour sortir de la crise, repenser notre mode de vie et de consommation»

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Date d'inscription : 25/04/2008

«Pour sortir de la crise, repenser notre mode de vie et de consommation» Empty
MessageSujet: «Pour sortir de la crise, repenser notre mode de vie et de consommation»   «Pour sortir de la crise, repenser notre mode de vie et de consommation» Icon_minitimeMar 10 Aoû - 15:40

«Pour sortir de la crise, repenser notre mode de vie et de consommation»


Capture d’écran 2010-08-10 à 10.43.14 Nous sommes au cœur de l'été. Les Français (en tout cas ceux qui ont la chance de pouvoir le faire) ont massivement investi les plages. C'est l'heure de la crème solaire à la noix de coco, des regards en biais vers les bikinis garnis et de la lecture de polars voire des bluettes de Marc Lévy ou Guillaume Musso.

Mais cet été marque aussi le 3ème anniversaire de la "Grande Crise" (trois ans déjà ...). C'est l'occasion de prendre un peu de recul et d'avoir une réflexion de fond sur celle-ci. J'ai donc interviewé Philippe Dessertine, économiste reconnu, pour avoir son sentiment sur la crise, ses causes, sa mécanique mais aussi les perspectives d'avenir (j'ai posé les mêmes questions à Jean-Marc Daniel, dont les réponses seront publiées jeudi sur le blog). Au delà d'un aspect "technique" incontournable (les lecteurs pourront se référer à ce post pour avoir un éclaircissement sur certains de ces aspects techniques), leurs réponses montrent un aspect beaucoup plus profond, un angle que l'on pourrait qualifier de "civilisationnel". Angle que l'on pourrait d'ailleurs mettre en parallèle avec les réflexions écologiques autour de la nécessité de bâtir "un autre modèle".
Nicolas Quint: Les médias et les politiques relaient largement l'opinion que "la finance est folle", "a perdu la tête", bref tout un lexique d'irrationalité. Doit-on accréditer cette notion d’irrationalité (que supportait Keynes) ou les agents économiques ont-ils agi de façon rationnelle au sein d’un système irrationnel?

Philippe DESSERTINE: J'ai un point de vue très tranché sur cette question. L'origine de la crise est totalement rationnelle et totalement politique. Elle est due à un surendettement des États occidentaux (USA en tête), notamment pour gommer les effets de la mondialisation dans les pays riches. Pour éviter de se confronter à ce problème majeur (et à leurs opinions), les politiques ont laissé se développer une finance sans contrôle, sans régulation, entraînant une création monétaire "aberrante". Pour soutenir le fait que les économies occidentales vivent au-dessus de leurs moyens, on a tout fait pour que se crée cette "dette folle" et les systèmes financiers qui l'accompagnent, avec notamment un déplacement des acteurs des banques traditionnelles vers la banque d'affaires. Ils ont été conduits à aller vers de la finance non régulée, notamment de la finance de marchés, la banque "classique" étant considérée comme beaucoup trop régulée. On peut donc parler d'irrationalité provoquée, sans régulation car l'on n'a pas voulu de régulation, cette cause expliquant l'ampleur de la crise et la bulle gigantesque. La bulle immobilière a été une providence qui semblait apporter une assurance très forte au système. Avant l'explosion ...

De la part d'une partie des économistes, il y a eu un aveuglement avec l'illusion d'un nouveau paradigme où la dette serait résorbée par une croissance mondiale, aveuglement qui perdure encore aujourd'hui. Les plans de relance visant à retrouver une croissance salvatrice en sont une illustration. Ce type de pensée est d'autant plus répandu qu'il est très prisé par les politiques de tous bords. Le mythe d'une nouvelle donne (Internet, financiarisation, ...) permet de s'exonérer de confronter la population aux problèmes réels et au fait douloureux qu'elle devra consommer moins.

Y-a-t-il selon vous des coupables dans le déclenchement et la propagation de la crise (au sens moral voire pénal)?

Il y a beaucoup de bouc-émissaires dans cette crise, la "finance folle" au premier plan, les banques, les agences de notation. Et pourtant, c'est une illusion collective voire un mensonge. On s'attaque aux instruments et non aux raisons sous-jacentes. Cette crise présente un parallèle indéniable avec la crise de 29 et la recherche de bouc-émissaires pour s'exonérer de la responsabilité collective entraîne une montée du populisme, de la stigmatisation de groupes ethniques et/ou sociaux et des extrêmes, notamment de droite. L'antisémitisme des années 30 a été une réponse à la crise de 29. Ce sont des mécanismes extrêmement dangereux. Il faut donc affronter la responsabilité collective des pays riches, celle des États mais aussi celle des citoyens. Nous sommes tous responsables à l'exception des classes pauvres qui n'ont pas ou peu accès à la (sur)consommation. C'est notre mode de consommation, excédant nos moyens, qui est en cause avant tout ainsi que nos exigences surdimensionnées vis-à-vis de l'État. Il est d'ailleurs à noter que les populations des pays émergents ne mettent pas la crise sur le dos des banquiers américains mais sur celui de l'égoïsme occidental. Les politiques ont été dans la facilité, encouragés en cela par les électeurs. Et pourtant, les opinions sont plus adultes qu'on ne le pense et sentent bien l'aberration du système. Le discours politique doit entrer dans une ère de vérité et de langage adulte vis-à-vis des citoyens.

Néanmoins, à partir du postulat de départ de continuer de vivre à crédit et de gérer la dette de façon la plus "opérationnelle" possible, de réelle dérives ont eu lieu et doivent être sanctionnées. Sur ces aspects, la mise en place volontariste de la régulation est une nécessité pour que les opinions ne puissent pas se défausser sur la finance et pour prévenir de nouvelles dérives. Ce qui fait le plus cruellement défaut, c'est l'absence de sanctions au niveau international (ou européen).

Peu après la crise, tous les dirigeants ont crié en chœur «Plus jamais ça!» et ont promis de «réguler» voire «refonder» le capitalisme. Or, on constate que l'on s'oriente vers un «business as usual». Quelle en est la raison selon vous? Poids des lobbies? Manque de solutions ou absence de consensus face à une pluralité de solutions? Impossibilité de mettre en œuvre des solutions au niveau mondial (manque de gouvernance mondiale pour le dire simplement)?

Le G20 a permis de parler de régulation mais rien n'a avancé depuis au niveau le plus important, à savoir international. Seuls les Américains ont progressé sur le sujet, et, dans une moindre mesure, les Britanniques. L'Europe, France en tête, ou le Japon, n'ont pas bougé d'un iota. Au niveau international,il y a sans cesse eu de bonnes raisons de ne rien faire. L'avancée américaine offre un canevas possible à une régulation internationale mais, paradoxalement, ils refusent un mécanisme international. Les Européens sont eux d'accord sur tout mais n'implémentent rien, même au sein de l'UE. Il faut une commission de contrôle des marchés européens et renforcer le rôle de la BCE. Le couple franco-allemand, qui est le moteur de l'Europe, est le premier à ne pas avancer. Le problème majeur au niveau européen est celui de la souveraineté et de la sanction. C'est aux politiques de présenter les possibilités de sanctions via un organisme de régulation ou la BCE comme un bienfait et non une punition. Cela nécessite de rompre avec les trop fréquents discours présentant la "technocratie" bruxelloise comme un père fouettard. Les États et les lobbies freinent aussi la régulation car elle nécessite de rompre avec une finance débridée qui a servi les intérêts privés comme publics.

L’idée d’une agence de notation européenne fait de plus en plus son chemin parmi les politiques et observateurs. Est-elle vraiment crédible? Si elle évite certains biais, elle en crée d’autres. Quelle légitimité aurait cette agence pour noter la dette grecque?

Ou encore mieux, la dette française! Les agences de notation, c'est un problème à la fois technique et politique. Elles sont décriées mais n'ont jamais été réellement attaquées, notamment pour les supposés conflits d'intérêts. Leurs modes de fonctionnement et leurs méthodes sont transparents. Évidemment, la situation oligopolistique actuelle n'est pas tenable. Mais rappelons qu'une 4ème agence avait été créée au Canada (DBRS) et a fait faillite pendant la crise par manque d'opérations.

L'émergence d'une agence de notation européenne est conditionnée au fait qu'elle soit totalement apolitique. L'Union européenne peut subventionner pour aider à la création d'une ou plusieurs agences privées voire éventuellement semi-publiques. Mais la césure avec les institutions publiques doit être très claire. Une agence reliée à la BCE est concevable et même souhaitable à condition qu'il n'y ait pas de lien budgétaire. Quant à l'agence de notation chinoise qui vient de noter les pays occidentaux, c'est le comble! Un pays qui ne joue pas les règles de l'économie de marché et notamment de la nécessaire transparence (les chinois fournissent très peu d'informations sur les entreprises comme le montre l'exemple récent de l'introduction en bourse d'ABC) et qui donne des leçons sur les agences de notation, c'est une supercherie. Les chinois peuvent se permettre d'engager ce type de rapport de forces car ils tiennent la dette américaine.

L’interdiction par l’Allemagne des ventes à découvert à nu [NDA : vente à crédit de titres que l'on ne possède pas encore] vous semble-t-elle être une piste intéressante pour aller vers plus de régulation? Comment la généraliser au niveau mondial? Pourquoi, selon vous, la France n’a-t-elle pas suivi?

C'est surtout révélateur des pratiques des banques européennes. Pour expliquer cette décision, on peut émettre l'hypothèse que quelque chose s'est passé entre les banques lors de la crise grecque, cette mesure relevant dès lors de la rétorsion. Les historiens économiques pourront peut-être trancher cette question dans quelques années. Techniquement, je ne pense pas que ce soit une bonne réponse. Plutôt que de travailler sur les opérations qui sont faites, notamment sur les CDS [NDA : outils de marché permettant de se prémunir contre un risque de défaillance, d'un Etat par exemple] et les dérivés, je suis plus favorable à un enregistrement via une chambre de compensation [NDA : organisme garant des transactions et exerçant une surveillance sur un marché]. Ces opérations ne sont pas mauvaises en soi tant que les acteurs ont la liquidité pour en assurer les conséquences. Trop d'acteurs ne présentaient pas de contreparties. Cela revient à assurer un risque sans avoir les moyens de gérer celui-ci. Le problème aussi est que les demandes pour les produits d'assurance ne viennent pas d'acteurs qui veulent réellement s'assurer mais seulement spéculer. C'est sur ces différents point que la régulation doit intervenir.

L’introduction de nouveaux produits tels que les MBS et les CDO [NDA : outils financiers complexes qui ont été à l'origine de la propagation de la crise des subprimes] est au cœur de la crise actuelle. Est-il possible de créer une agence chargée d’évaluer l’intérêt et la non-nocivité des produits avant de les autoriser, un peu à la manière du marché pharmaceutique? Qui pourrait la gérer?

Il faut attaquer violemment le gré-à-gré [NDA : transaction entre deux parties hors d'un marché organisé] en obligeant les acteurs à plus de transparence et obliger ceux-ci à intégrer tous les actifs dans leurs bilans. Avec des sanctions à la clef, y compris pénales pour les dirigeants qui continueraient à faire du gré-à-gré opaque sur les CDS par exemple. Et ce au niveau mondial. Les outils qui ont été créés, la titrisation par exemple, ne sont pas mauvais en soi et doivent être développés. Simplement, ils doivent être transparents et strictement encadrés.

L’Europe marche sur une ligne de crête entre la falaise de la dette et celle de la rigueur entraînant la récession. Quel est le plus grand risque des deux selon vous? Comment se frayer un chemin entre les deux?

On doit rentrer dans une politique de rigueur importante tant le remboursement de la dette est devenu incontournable. Ce n'est pas juste augmenter un peu les impôts et baisser un peu les dépenses, c'est repenser notre mode de vie et de consommation sans favoriser la montée des extrêmes dans l'opinion. Nous sommes donc dans un moment-clef. On doit avoir une politique responsable, cela veut dire que cette rigueur doit être accompagnée d'une politique d'aide aux plus pauvres, notamment aux victimes de la crise dont on ne s'occupe absolument pas pour le moment. Ensuite, il faut être attentif à la classe moyenne qui va être la principale victime et donc le principal danger. Les inégalités de revenus vont devenir insupportables dans une rigueur accrue. Là encore, c'est au niveau international que l'on doit discuter de la rémunération des plus hauts revenus et de la fiscalité, sur les citoyens comme sur les entreprises (de façon notamment à ce que ces dernières ne puissent échapper aux efforts qui seront demandés à la population). Enfin, il faut repenser notre mode de consommation. La prime automobile à la casse, par exemple, est une façon de repousser ce problème au lieu de l'affronter. Les population occidentales ont créé la crise, elles doivent repenser leur mode de vie pour en sortir. Espérer une chimérique croissance, c'est remettre la machine en route et repartir vers des crises de plus en plus violentes.

Laisser «filer» l’inflation dans des proportions raisonnables (5 à 6%) peut-il être un des remèdes au problème de la dette? Est-on capable de garder l’inflation dans une fourchette acceptable ou court-on ainsi le risque de voir une inflation forte apparaître ?

D'une part et pour citer Jean-Claude Trichet, l'inflation, c'est comme le dentifrice, quand on commencer à le faire sortir du tube, on ne peut plus le faire rentrer. Laisser filer l'inflation c'est prendre le risque de ne plus la maîtriser. Ensuite, c'est une manière de refuser la responsabilité qui nous incombe, c'est prendre des risques géopolitiques en accroissant les tensions vis-à-vis du créancier majeur qui est la Chine. L'inflation garde un aspect séduisant par nostalgie des trente glorieuses et des emprunts immobiliers qu'on ne rembourse qu'en partie grâce à l'inflation. Mais c'est ici le pire des leurres.

La baisse de l’Euro consécutive à la crise va-t-elle doper les exportations européennes? Qui va le plus en profiter? La France n’est-elle pas mal placée pour en tirer profit (manque de « grosses » PME exportatrices, industries peu sensibles comme le luxe, faiblesse des exportations à destination des émergents, inflation importée, … ), l’arbre Airbus cachant la forêt ?

De toute façon, le surplus de croissance que cela va générer ne permettrait pas de résoudre les problèmes. Et la croissance n'est de toute façon pas la solution à tous nos problèmes. Ceci étant dit, la baisse de l'euro peut amener une dynamique des exportations mais la France est bien moins bien à même que l'Allemagne d'en tirer profit.

En conclusion, croyez-vous à un scenario de reprise relativement rapide (horizon 1 à 3 ans) ou pensez-vous que la crise va connaître de nouveaux rebondissements (d’autres «Grèce», récessions dues à la rigueur, mouvements sociaux de grand ampleur, …)?

On ne peut pas parler de sortie de crise tant que les taux sont aussi bas. On est toujours aujourd'hui sous perfusion, dans une situation de croissance artificielle et molle.

Le jour où on remettra les taux à un niveau normal, ce qui ne sera possible que lorsqu'on aura traité le problème de la dette publique européenne et américaine, nous verrons où nous en sommes. La sortie de crise, pour le moment, n'en parlons même pas!

Philippe Dessertine recommande chaudement aux lecteurs du blog la lecture du 80ème rapport du BRI paru très récemment.

Philippe Dessertine est agrégé en Sciences de Gestion, professeur de finance et de gestion, Directeur du Centre d'Études et de Recherches sur les Organisations et la Stratégie (CEROS) à l'Université Paris X, il dirige également l’Institut de Haute Finance du groupe IFG (IHFI). En 2009, il a été membre de la Commission du Grand Emprunt présidée par Alain Juppé et Michel Rocard. Il participe de façon régulière à l'émission "C dans l'air" sur France 5. Il a notamment publié :

"Le Monde s'en va-t-en guerre - ne sait qu'en reviendra" (2010)

"Ceci n'est pas une crise, juste la fin d'un monde"(2009)