Du jamais vu dans un pays ou un scandale chasse l’autre. L’ex-supérieur du monastère du mont Athos est en détention préventive.
Correspondante en Grèce
Les Grecs ont reçu une surprise de fin d’année de taille. Le plus grand scandale politico-financier de l’après-guerre porte le nom d’un des plus célèbres monastères du pays, Vatopaidi. Et l’ex-supérieur de celui-ci est désormais en détention préventive.
Ephraim, qui était à la tête du monastère le plus riche du mont Athos, cette république semi-autonome au nord de la Grèce interdite aux femmes, a donc passé, sous haute escorte, le seuil de la prison de Korydallos dans la banlieue d’Athènes. Inculpé de blanchiment d’argent et d’escroquerie, Ephraim, 56 ans, devra attendre son procès entre les quatre murs d’une cellule de l’aile numéro 6 de la maison d’arrêt ; celle qui est réservée aux criminels financiers.
Du jamais vu dans un pays ou un scandale chasse l’autre sans que jamais qui que ce soit aille en prison ou ne soit même inquiété. Du jamais vu aussi dans un pays ou l’Eglise, toujours pas séparée de l’Etat, bénéficie à plus d’un titre de la clémence, voire de la totale impunité des tribunaux.
L’affaire a tellement surpris que, sur les sites et blogs contestataires, tout le monde s’est posé la question : pourquoi donc Ephraim est-il en préventive pour la Noël ? Et la réponse de fuser de toutes parts "pour mieux le relâcher au Nouvel An".
C’est qu’il a fallu 39 mois d’enquête pour arriver à ce résultat. Et encore, les ministres et députés impliqués dans l’affaire en sont quittes pour pas cher. Le Premier ministre de l’époque, Kostas Karamanlis, ayant dissous l’assemblée pour précipiter la prescription.
Ce scandale, ajouté à tous les autres, avait largement contribué à la chute des conservateurs en 2009. Les faits remontent à 2004, lorsque l’Etat a cédé, dans des conditions pas encore éclaircies, des terrains à l’Higoumène Ephraim, qui les a ensuite échangés contre deux constructions olympiques. Constructions qu’il a ensuite revendues au prix fort avec un manque à gagner pour le contribuable grec de plus de 100 millions d’euros.
Le pot aux roses à été découvert au moment de la légalisation de ce tour de passe-passe juridique. L’enquête menée par des journalistes grecs a prouvé que toutes les institutions du pays étaient impliquées.
Des gardes forestiers qui ont déclassé les terrains échangés pour en faire baisser les prix, aux tribunaux qui ont fermé les yeux lors de l’enregistrement des actes notariés, en passant par les banquiers qui n’ont pas cherché à savoir d’où venait l’argent et par les ministres qui ont facilité les affaires d’Ephraim moyennant pot-de-vin. Et on ne parle même pas ici des services fiscaux qui ont clos les transferts immobiliers en percevant le minimum requis manifestement sans rapport avec les sommes en jeux.
Pire, les Grecs ont découvert que ce monastère, toujours interdit aux femmes, jugées "impures", est un repaire d’affairistes possédant des sociétés offshore, des discothèques, des boîtes de nuits, des plages privées, des complexes hôteliers, des mines et toutes sortes d’autres activités peu en rapport avec la méditation réservée au "Jardin de la Sainte Vierge".
Plusieurs manifestations de protestation et de dégoût ont eu lieu. C’est que le moine Ephraim était la coqueluche de l’establishment grec. Il allait et venait dans les ministères et bureaux des proches du Premier ministre. La femme du ministre de la Marine marchande était la notaire d’Ephraim.
Pour Pavlos Tsimas, éditorialiste du quotidien "Ta Nea", "il serait très grave, voire dangereux que les Grecs aient le sentiment que là aussi l’impunité va l’emporter". Ce risque est d’autant plus grand que le second du monastère et complice présumé d’Ephraim, le moine Arsenios, avait été laissé en liberté conditionnelle malgré son inculpation et une condamnation en décembre 2010 à plusieurs mois de prison avec sursis "pour instigation morale à la corruption d’une juge".
Il n’empêche qu’Ephraim met le pays en émoi. Des popes et des fidèles l’ont attendu une bougie allumée à la main en chantant des psaumes devant la prison. Le patriarche de Moscou appelle à sa libération, parle de persécution contre l’orthodoxie et voit un manque de respect contre le mont Athos et Ephraim "car c’est une femme qui est chargée de l’enquête".