Les indigènes montent aux barricades pour l'Amazonie
Les indigènes du nord-est du Pérou sont résolus à étouffer des axes du pays "jusqu’à ce que le gouvernement entende" leurs craintes de voir "leur" Amazonie mise en vente. Ce week-end, une bataille rangée avec la police a fait plus de 30 morts.
Une unique route goudronnée, vitale, relie sur 130 km les gros bourgs de Yurimaguas et Tarapoto, au coeur d’une zone de dense forêt amazonienne de petite montagne, à 900 km de Lima. En quatre points, l’axe est coupé depuis 36 jours par quelque 3.000 indigènes qui se relaient.
Des troncs barrant la route, des tentes sur le bas-côté pour la nuit, un feu sur lequel les femmes font frire yukas, bananes ou de petits poissons. N’étaient-ce quelques longues lances de métal ou bois, des arcs et flèches, on dirait un barrage revendicatif paisible. Mais la tension est là.
Bagua a tout changé. Vendredi et samedi, à 400 km de là, en 24 heures de violences dont le film reste contesté, police et indigènes, Aguarunas surtout, se sont affrontés après la levée d’un blocus similaire à Yurimaguas: 34 morts selon un bilan officiel, bien plus selon les indigènes.
"Qu’on enquête sur les événements de Bagua, qu’on nous dise la vérité sur les centaines de nos frères disparus !", lance Bladimiro Tapayuri, leader des fronts Cocama et Cocaniche, deux des 65 groupes amérindiens du pays. A chaque barrage, des dizaines de voitures, camions, chargés de denrées alimentaires, de matériaux divers, attendent que les Indiens veulent bien les faire passer, au compte-goutte, ou comme mardi pendant deux heures après de longues tractations -un geste exceptionnel, préviennent-ils.
"Nous ne bougerons pas jusqu’à ce que le gouvernement revienne sur les lois qui affectent notre territoire", énonce à l’AFP Hernan Kariaja, un "apu" (chef coutumier) de l’ethnie Candoshi, à la réputation guerrière respectée de la frontière équatorienne au sud-est du Pérou.
En une demi-douzaine de points de l’Amazonie péruvienne (60% du pays), des indigènes bloquent depuis avril ici une route, là un port fluvial, là un petit aérodrome. Rien de spectaculaire, mais un impact clair, comme ici à Yurimaguas, point de transport névralgique sur le fleuve Huallaga et zone de richesse forestière.
La revendication immuable des indigènes est la révocation de six décrets-lois de 2007-2008, qui selon eux ouvrent trop facilement la voie aux nouveaux projets d’exploitation minière, agricole, hydrique du Bassin amazonien, sans réel droit au chapitre pour les autochtones.
Depuis, assure Reyna Isabel Ortiz, leader de l’ethnie Shabi, davantage d’entrepreneurs venus de Lima sont dans la région, lorgnent sur des terrains, "font signer des papiers à des indigènes qui ne savent ni lire ni écrire, leur font mettre leur empreinte digitale, puis les délogent".
"Ils ont commencé à nous virer de nos terres, à pénétrer dans nos communautés et à emporter le bois".
La frustration de sentir l’industrie extractive la bride sur le cou, s’ajoute au sentiment d’ingratitude historique: "On s’est battus (avec l’Etat) contre les Equatoriens dans la guerre frontalière du Cenepa (1995), et aujourd’hui il veut nous voir quitter nos terres!", s’indigne Hernan Kariaja.
Depuis que le Pérou, sonné par les violences de Bagua, a soudain redécouvert sa minorité indigène (plus de 400.000 âmes), plus d’un anthropologue et expert amazonien a mis en garde sur la détermination historique de ces peuples, dont ni Conquistadores, ni Incas ne vinrent à bout.
"On est fatigués, il nous manque de quoi manger, mais on ne fera pas marche arrière, car il s’agit d’une terre pour nos enfants", pose calmement Reyna Isabel Ortiz.
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