Acidification de l'océan : des espèces en profiteront, d'autres mourront
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http://m.futura-sciences.com/Par Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences Bookmark and Share
Quel effet aura sur les organismes marins l'acidification des océans, autre conséquence de l'augmentation de la teneur de l'atmosphère en gaz carbonique ? Une équipe américaine l'a mesuré expérimentalement sur une série d'espèces. Moralité : il y aura des vainqueurs et des vaincus.
A mesure que l'atmosphère s'enrichit en gaz carbonique (CO2, ou dioxyde de carbone), le pH de l'eau de mer s'abaisse. Autrement dit, son acidité augmente. Le phénomène est connu et expliqué. Le gaz carbonique de l'air se dissout dans l'eau et une partie réagit pour donner des ions hydrogénocarbonates (HCO3-) et carbonates (CO32-) et donc aussi des ions H+ (responsables de l'acidité).
Il n'y a cependant pas de relation simple entre teneur atmosphérique en CO2 et acidité de l'eau de mer car d'autres facteurs physiques interviennent, notamment la température, et les émissions de soufre et l'azote des engrais finissant dans l'océan conduisent aussi à réduire le pH.
On pense que depuis l'ère préindustrielle, le pH est descendu d'environ un dixième, de 8,2 à 8,1. Avec l'échelle logarithmique du pH, cette légère réduction correspond tout de même à une augmentation de la concentration réelle en ions H+ de 30%. Selon les estimations, le pH pourrait descendre à 7,9, voire 7,8 à la fin du siècle.
Cette acidification des océans ne sera pas sans conséquence sur un certain nombre d'espèces qui utilisent les carbonates pour se fabriquer une coquille en carbonate de calcium. C'est le cas des crustacés, des mollusques bivalves (moules, huîtres, palourdes, etc.), des coraux, de beaucoup de gastéropodes (comme les patelles) ainsi que de certaines algues.
La conque, un gastéropode, souffre de l'acidification. A gauche, l'animal s'est développé dans une eau de mer similaire à celle des océans actuels. A droite, l'animal a effectué sa croissance dans une eau très riche en dioxyde de carbone, mimant ce qui sera peut-être l'océan mondial dans un demi-millénaire. La coquille est fine et fragile. En fait, l'aragonite, une forme de carbonate de calcium, tend à se dissoudre dans l'eau. © Tom Kleindinst, Woods Hole Oceanographic Institution
Plusieurs études ont montré que l'acidité de l'eau entrave la calcification, c'est-à-dire la formation de la coquille, qui devient plus fragile chez l'adulte. Des travaux précis ont mesuré cet effet du pH chez l'huître et la moule.
Une équipe de la Woods Hole Oceanographic Institution, menée par Justin Ries (University of North Carolina, Chapel Hill), a été plus loin en testant l'effet de différentes concentrations de CO2 dissous dans l'eau sur 18 espèces marines vivant au fond (on les dit benthiques), animales et végétales. L'idée de l'expérience vient de la supposition que tous les organismes ne devraient pas être affectés de la même manière par une acidification car tous n'utilisent pas de la même manière le carbonate de calcium.
Crabes, homards et crevettes savent en profiter...
L'équipe a réalisé quatre milieux différant par leur acidité. Le premier, le témoin, a celle des mers d'aujourd'hui. Les trois autres correspondent à ce que l'on obtiendrait avec des teneurs atmosphériques en gaz carbonique deux fois, trois fois et même dix fois celle de l'ère pré-industrielle (établie à 285 parties par million, ou ppm). Très élevée, cette dernière valeur ne sera pas atteinte durant ce siècle mais, explique Justin Ries, elle pourrait devenir réalité dans 500 ou 700 ans et elle a déjà été atteinte dans le passé, durant le Crétacé.
L'idée originelle était bonne. Les espèces soumises aux tests ont réagi de manières très diverses. Les crustacés s'en sortent bien. Crabes bleus et homards profitent même largement d'une augmentation de la teneur de l'eau en carbonate et fabriquent leurs carapaces plus facilement, ce qui leur permet d'atteindre des tailles plus grandes et même impressionnantes. Les algues vertes calcifiées s'adaptent à la diminution de pH et continuent à fabriquer leurs structures calcifiées.
Un grand perdant : l'oursin crayon, qui a beaucoup de mal à fabriquer son test (la coquille) et ses imposants piquants lorsque l'acidité de l'eau est très élevée (animal de gauche). © Tom Kleindinst, Woods Hole Oceanographic Institution
En revanche, les huîtres, les coquilles Saint-Jacques, le corail et les annélides à tube calcaire (les serpules) construisent des coquilles plus fines et plus fragiles. L'acidification ne leur convient pas du tout. Les plus touchées lors de l'expérience étaient la palourde, la conque et l'oursin crayon (dont les piquants sont épais et peu nombreux). Chez ces animaux, les plus hautes acidités dissolvent leurs coquilles...
La différence, explique l'équipe, vient du type de carbonate de calcium utilisé par l'organisme ainsi que l'efficacité du contrôle de l'acidité là où se fait la calcification. Même pour les espèces qui s'adaptent, les chercheurs se posent la question de l'effort que l'organisme doit réaliser pour surmonter l'acidité ambiante. Si le surcroît de dépense énergétique est élevé, l'organisme peut se fabriquer une belle coquille mais au détriment d'autres fonctions, par exemple la défense immunitaire. Par ailleurs, explique Justin Ries, « nous savons que la qualité de la nourriture joue un rôle important. Le corail, par exemple, est moins sensible au CO2 s'il est bien nourri » Ce facteur n'a pas été testé dans l'expérience, tous les animaux disposaient d'une bonne nourriture....
En tout cas, l'expérience montre la complexité de la réponse des organismes marins à coquille à une variation de pH. Tous ne seront pas logés à la même enseigne...