Inquiétantes prisons modèles
Le contrôleur des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a présenté hier un rapport très critique envers le fonctionnement des nouveaux établissements pénitentiaires. Un dédale de portes, de clés, de couloirs, de sas ou de contrôles… Un cheminement sans fin, au sens premier du terme : dans les nouveaux établissements pénitentiaires, entre un quart et un tiers des détenus qui sortent de leur cellule pour se rendre à une activité ou un rendez-vous sont contraints de faire demi-tour avant d’avoir atteint leur objectif, horaire oblige. « Il y a dans ces prisons une multiplication des frustrations, et par conséquent un accroissement inévitable de l’agressivité, engendrant une violence contre soi et contre autrui », détaille le contrôleur des lieux de privation de libertés, Jean-Marie Delarue, qui commentait hier, devant une presse venue nombreuse, son second rapport annuel depuis la création de l’institution. « Sans polémiquer, ni rien céder à ce qui me semble devoir être dit », a-t-il cru bon d’insister.
UNE MULTIPLICATION DES FRUSTRATIONS
Cette année, le contrôleur a donc développé un point spécial consacré aux établissements construits dans le cadre du programme dit des « 13 000 » places, conçu en 2002 : trois de ses équipes, parties simultanément entre fin août et début septembre 2009 pour les visiter, sont revenues « pessimistes ». Mais « le coup est parti », regrette le contrôleur pour qui, il sera désormais difficile de revenir sur une architecture dont la définition est déjà fixée.
POUR LA MAJORITÉ, UN « ENNUI MORTEL »
Outre la multiplication des grilles et du béton, le problème de ces « prisons modernes » réside dans la diminution des contacts humains, avec par exemple la mise en place de « vitres sans tain dans les postes de surveillance ». Les gardiens y sont « débordés » : « Leur nombre est à peine suffisant pour accomplir leurs tâches. » Certains n’ont d’ailleurs pas le temps d’ouvrir la porte des détenus qui doivent se rendre à une activité, « et disent ensuite que c’est le détenu qui a refusé de venir », complète le contrôleur, qui dit récuser « les faux clivages » : « Si nous nous intéressons aux détenus, est-ce que nous ignorons les conditions de travail des surveillants ? » En prison, précise encore Jean-Marie Delarue, les activités, ateliers, formations, ou emplois, sont « réservés à une minorité privilégiée ». Le lot des autres, c’est « un ennui mortel ». Autre objet d’inquiétude du contrôleur qui rappelle que « l’exigence de sécurité ne remplacera jamais les nécessaires relations humaines » : la mise en place de la vidéosurveillance. Sans y être opposé, il recommande que des limites « très précises » soient fixées : aucune caméra dans les lieux d’intimité, les cabinets de médecins, d’avocats, les chambres d’hôpital ou la cellule. « On ne peut pas substituer la vidéosurveillance à la surveillance », appuie Jean-Marie Delarue. Et de livrer une anecdote qui résume bien les limites d’une lecture parfois délicate et imprécise des images. En visite dans un centre de rétention, le contrôleur voit à l’image ce qu’on lui décrit comme étant « quinze personnes assises sagement devant un poste de télévision ». Arrivé dans la pièce en question, il découvre que les quinze personnes sont en fait « en train d’attendre qu’on consente enfin à allumer le poste ».
ANNE ROY