Comment l'épiscopat
gaspille l'argent des fidèles ?
Le 21 août, le journal Le Monde, fait état du fonds de placement " éthique " que diocèses
et congrégations sont invités à souscrire. Le 27 août, le " Canard enchaîné " révèle que le
Fonds aurait fondu de 12% depuis sa promotion. Le 8 septembre à Angers, se tenait le procès
d'une ex-religieuse réclamant à son ancienne congrégation une compensation pour ses années
de bons et loyaux services dans la congrégation. Tout cela appelle quelques éclairages
inédits.
Le propos paraitra exagéré, et pourtant !... Il nous faut remonter aux origines de la
Caisse instituant la Sécurité sociale du clergé (devenu CAVIMAC). Dans le numéro 119 de la
revue Golias nous rendions hommage au prêtre Michel Brion, pour son petit livre de 1971 sur
les " ressources du clergé "; il y proposait une fondation pour assurer aux prêtres et
religieux une retraite égale au Régime général ". En 1977, le Parlement débattait de la
retraite du clergé et des congrégations, le lobbying de celles-ci aboutissant à une
retraite de base qui est et demeurera la plus faible de tous les régimes. Mais le culte
catholique prend l'engagement d'augmenter progressivement les cotisations et d'assurer à
tous ses membres un complément de retraite.
Les engagements seront occultés, oubliés puis niés... En 1980 une religieuse - que le
Vatican de Benoît XVI vient d'appeler à lui après décernement du prix " Femme d'Eglise et
Finances " - reprend l'idée de Michel Brion, mais en amputant l'intuition de sa partie la
plus noble: éviter pour les prêtres et les religieux les recours
aux fonds sociaux des autres régimes de sécurité sociale et de la solidarité nationale.
Soeur Nicole Reille - c'est d'elle qu'il est question - devient donc prêtresse des fonds de
placement étiquetés ISR (investissement socialement responsable). Dans chacune des
nombreuses interviews qu'elle accorde, elle raconte fièrement : " économe à la congrégation
Notre-Dame, j'ai monté en 1983, avec la société de gestion Meeschaert, un fonds
d'investissement éthique, " Nouvelle stratégie 50 ", pour compléter la retraite de
nos religieuses. Les communautés se transforment de plus en plus en maisons de retraite, ça
nous coûte plus cher, et les ressources manquent". Auprès des autres congrégations
religieuses, auprès des diocèses, auprès du CCFD, elle sera l'infatigable apôtre des
placements en bourse... Il ne s'agit pas ici de faire grief à l'Église de rechercher la
bonne gestion de réserves financières normales et indispensables. Le problème soulevé ici
est tout autre : des fonds que les congrégations et les diocèses devaient consacrer à une
retraite normale de leurs membres ont été détournés de leur destination première à savoir
la mise
en place d'une retraite de base ainsi que d'une retraite complémentaire conjointement dues
à toutes les personnes qui ceuvrent ou ont oeuvré en tant que ministres du culte ou membres
de congrégations religieuses. Conséquence : les autres régimes de Sécurité sociale doivent
compenser la démographie vieillissante du clergé... Pire : beaucoup de religieux, moines et
moniales sont poussés à solliciter le Fonds national de solidarité tandis que leurs
congrégations et monastères sont invités à opérer des placements en bourse.
Les placements éthiques
Un parfum de scandale accompagne la promotion du fonds " ETHICA ". Au journaliste du Monde,
le secrétaire général adjoint chargé des questions administratives et financières de la
Conférence des Evêques de France Jean- Michel Coulot - explique : "Nous voulions un produit
avec NOS principes éthiques, et pas ceux de quelqu'un d'autre.... Il a fallu un an et demi
de préparation pour arriver à un consensus. " Charles-Antoine Smet, gérant chez Allianz
Global Investors - la société de gestion qui a remporté l'appel d'offres des diocèses - est
plus explicite sur les principes éthiques : "Concrètement, cela signifie que nous
n'achetons pas d'actions de laboratoires pharmaceutiques qui vendraient la pilule abortive
". - " Et les préservatifs ?", interroge, perfide, le journaliste du Monde. "On ne va pas
jusqu'à parler de contraception" répond le gérant.
L'article vaut le détour, un tiers des diocèses se serait déjà laissé séduire, tandis que
d'autres constatent qu'ils n'ont pas de fonds à placer... Mais notre propos n'est pas là:
si l'Eglise de France avait - comme elle aurait du le faire - joué le jeu de la Sécurité
Sociale, les diocèses en question n'auraient pas de besoins financiers ; leurs prêtres et
religieux de 60 ans et plus, qui représentent l'immense majorité, percevraient des revenus
égaux à la moyenne des autres retraités. Quant aux fonds classés ISR, un article datant de
2002 de Céline Ovadia a su faire la part des choses : elle y souligne bien des
contradictions, ne serait-ce que la connivence avec les Directions des Grandes entreprises
aux salaires défiant tout sens éthi
que, tandis que sont exclus des enquêtes de labellisation, les représentations
syndicales... En 1895, la Cour d'appel d'Angers faisait droit à une ancienne religieuse :
"Attendu que les bons soins [qu'une religieuse) a prodigués pendant plus de quinze années
aux clients de sa communauté, ont rapporté à celle-ci des sommes importantes, bien
supérieures aux dépenses que pouvaient occasionner sa nourriture et son entretien " ( ..)
attendu que [la communauté) ne pouvait se dispenser, dans l'espèce, de lui tenir compte des
avantages qu'elle lui a procurés par un long travail et un absolu désintéressement, nul ne
pouvant s'enrichir aux dépens d'autrui... "
Le procès d'Angers
L'histoire va-t-elle se répéter? Le 8 septembre 2008, le Tribunal de Grande Instance
d'Angers a entendu à nouveau les arguments d'une autre ancienne religieuse, partie à 59
ans, et qui, du fait de la modicité de la retraite des cultes, doit recourir aux " aides
sociales " pour vivre. Son argumentation reprend la jurisprudence d'Angers fondée sur "
l'enrichissement sans cause ". L'argumentation est contestée par la congrégation qui argue
de l'abnégation liée au contrat congréganiste et donc l'absence de cause. Mais pour
l'avocat de la plaignante : " l'absence de cause est liée à l'absence de charge effective
lorsque Madame B. n'est plus engagée dans ses liens religieux. Cette situation est
constitutive de l'appauvrissement de Mme B., qui, du fait de sa qualité de religieuse, n'a
pas été affiliée à un régime obligatoire de protection vieillesse pour toute la durée de sa
vie religieuse " Le combat est inégal, les instances de l'Eglise de France ont mobilisé des
avocats parisiens pour venir à Angers... Il s'agit pour elle de ne pas créer un précédent
mais de dire haut et fort : nous ne devons rien aux personnes qui ont quitté la vie
religieuse et sacerdotale. Les réserves que nous avons, sont destinées à nos ouvres. La
Caisse des Cultes assure par ailleurs un complément de ressources à ceux qui sont dans le
besoin. A partir de quels fonds ? Ceux de l'éthique, ou ceux des autres régimes de Sécurité
Sociale et du Fonds national de solidarité ?
Source Golias :
http://www.golias.fr