Les victimes des pesticides s'organisent pour faire reconnaître leurs maladies
Le Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures vient de
lancer un Réseau des victimes des pesticides. Cette association, qui milite
depuis quinze ans pour une agriculture sans pesticides, est sollicitée par
« de nombreux particuliers qui constatent qu'ils n'ont aucun moyen de se
défendre contre les pulvérisations, la législation étant quasiment
inexistante », explique François Veillerette, président du Mouvement.
Bertrand Pouchin est l'un d'entre eux. Lorsqu'il achète sa maison au milieu
des champs de blé de la Beauce, en juillet 2004, il pense avoir gagné un
"petit coin de paradis". Il déchante vite. Un week-end, un énorme tracteur
vient pulvériser des pesticides à l'odeur nauséabonde jusqu'à la haie qui
sépare les champs de son jardin, où joue son petit garçon. Première
confrontation, violente, avec le fermier. M. Pouchin fait appel au maire
qui, dans un premier temps, temporise. "Le conseil municipal, composé de
huit céréaliers sur onze élus, a fini par m'envoyer promener, raconte-t-il.
Chez les gendarmes, même chose ! On m'a répondu que les agriculteurs étaient
là avant moi, et qu'ils doivent travailler." Il ne trouve donc personne pour
constater l'infraction qui consiste à pulvériser ces produits même par vent
de force 3, soit 19 km/h. "C'est pourtant fréquent dans la Beauce, premier
parc éolien de France !", observe M. Pouchin. "De mars à octobre, on vit un
enfer !, poursuit-il. Les céréaliers déversent des herbicides, des
insecticides, des fongicides, des hormones de croissance, des hormones de
contrôle..."
En octobre 2008, Damien, son deuxième petit garçon, alors âgé de 3 ans, perd
du poids, et les médecins diagnostiquent une hyperthyroïdie que M. Pouchin
impute aux pesticides, considérés comme des perturbateurs endocriniens. "En
guerre" contre cette pollution chimique, il lance des accusations dans la
presse locale et reçoit des menaces de mort. Il s'estime pourtant légitimé
dans son combat lorsque des "repentis" de l'agriculture intensive lui font
part de leurs maladies et de leurs soupçons.
Agriculteur installé en Alsace, Patrick fait partie de ces "repentis". Il a
toujours utilisé les pesticides parce qu'on lui a "appris à le faire à l'école",
mais le regrette depuis qu'il a développé la maladie de Parkinson, à l'âge
de 35 ans. "On nous disait que les pesticides n'étaient pas nocifs, alors on
les pulvérisait en short et en chemise... Un jour, un tuyau a éclaté et j'ai
été douché aux désherbants à l'intérieur de la cabine de mon tracteur. J'ai
dû être hospitalisé après une forte fièvre. Huit ans plus tard, les
tremblements ont commencé. J'estime que j'ai été empoisonné, mais la
Mutualité sociale agricole refuse d'établir un lien entre les deux
événements et de reconnaître qu'il s'agit d'une maladie professionnelle",
explique-t-il. Patrick et Bertrand se sont retrouvés au sein du nouveau
Réseau des victimes des pesticides.
Le Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures réclame l'interdiction
des pesticides en ville, dans les parcs, jardins et aires de jeux, "pour
éviter que les enfants dont le ballon tombe sur la pelouse les touchent et
les avalent". Il demande aussi l'instauration de zones tampons (cultures bio
ou pâturages), entre les habitations et les lieux de pulvérisation. Et,
"pour que la législation soit respectée, il faut qu'elle soit assortie de
sanctions pénales dissuasives", insiste Mr. Veillerette. Il souhaite que le
gouvernement saisisse l'opportunité de la transposition d'une directive
européenne encadrant l'usage des produits phytosanitaires pour introduire
ces dispositions.
Le Mouvement espère aussi venir en aide aux victimes professionnelles, en
les aidant à faire reconnaître leurs maladies, "ce qui n'a été le cas que d'un
ou deux agriculteurs pour l'instant", selon Mr. Veillerette. "De nombreuses
études épidémiologiques montrent que l'exposition aux pesticides augmente
les risques de cancers, de troubles de la reproduction et de maladies
neuro-dégénératives", rappelle-t-il.
L'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) vient
ainsi de confirmer, le 16 juin, qu'elle double le risque de survenue de la
maladie de Parkinson chez les agriculteurs. "Nos adversaires répondent qu'on
ne peut rien prouver, qu'on n'a jamais établi de lien de causalité entre l'exposition
et la maladie, s'indigne Mr. Veillerette. Le fait de briser la loi du
silence devrait les faire reculer." Comme cela a été le cas pour l'amiante.
Risques accrus de Parkinson et de lymphomes
L'exposition aux pesticides double le risque de survenue de la maladie de
Parkinson chez les agriculteurs, selon les travaux menés par une équipe de
chercheurs de l'Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale
(Inserm) et de l'université Pierre-et-Marie-Curie. Le risque augmente avec
le nombre d'années d'exposition et il est principalement lié à l'usage d'insecticides,
notamment de type organochloré. Une autre étude récente de l'Inserm montre
que les agriculteurs exposés aux pesticides présentent des anomalies
chromosomiques pouvant favoriser le développement d'un lymphome ou d'un
cancer du système immunitaire. Dans le cas du lymphome, le processus de
cancérisation débute par un échange de matériel génétique, ou translocation,
entre les chromosomes 14 et 18. Or, le sang de 128 agriculteurs suivis par l'Inserm
présentait une fréquence de cellules transloquées pouvant être jusqu'à 1 000
fois supérieure à la normale.
Rafaële Rivais
Source :
http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article11198