Placé devant des situations physiquement possibles ou impossibles, un corbeau freux réagit comme un enfant humain de six mois et plutôt mieux qu'un chimpanzé. Une preuve de plus des capacités intellectuelles des corvidés.
Les corbeaux, et plus généralement les corvidés (les corneilles, les pies, les geais, les choucas...), n'en finissent pas d'étonner les scientifiques, qui découvrent depuis maintenant de nombreuses années des signes d'intelligence jusque-là prêtés aux seuls primates.
On savait déjà que les corvidés fabriquent des outils. Des corneilles plient des tiges de fer ou cassent de brindilles pour en faire des crochets et des pics, et d'autres, au Japon, ont découvert comme utiliser les voitures comme des casse-noix, de préférence aux feux tricolores.
Plusieurs expériences ont cherché à mesurer plus précisément les capacités cognitives des corvidés. La dernière en date a été réalisée au Royaume-Uni, par un zoologiste au nom prédestiné, Christopher Bird, de l'Université de Cambridge, et Nathan Emery, de la Queen Mary University of London. Les mêmes avaient démontré au début de l'année 2009 que des corbeaux freux (Corvus frugilegus) parvenaient à utiliser des petites pierres pour actionner un distributeur automatique de nourriture installé au fond d'un tube en verre.
Cette fois, leur étude, publiée dans les Proceedings of the Royal Society, a porté sur une question posée depuis longtemps : les corvidés ont-ils une certaine connaissance des lois physiques fondamentales ? On sait en effet que des primates, mais aussi les très jeunes enfants humains, ont une idée sur quelques principes du monde physique. Par exemple, ni un singe ni un bébé ne s'attendent à voir un objet flotter en l'air.
Un œuf est plus lourd que l'air
C'est ce point qu'ont voulu vérifier Bird et Emery chez un corvidé, le corbeau freux, en utilisant une méthode expérimentale mise au point chez les bébés humains. Une scène, ici en l'occurrence une image, est montrée au sujet, dont le visage est filmé et on mesure le temps durant lequel le regard s'attarde sur un détail. Il est en effet connu qu'un bébé ou un singe regarde plus longtemps une scène qui lui semble anormale.
Les deux zoologistes ont procédé de cette manière avec des corbeaux freux, profitant d'une curiosité naturelle de ces oiseaux. Les corbeaux de l'expérience avaient devant eux un trou percé dans une paroi et ne pouvaient s'empêcher d'aller y jeter un œil. Derrière se trouvait une image montrant un œuf et une table, le premier parfois simplement posé ou parfois en l'air.
Les corbeaux ont brillamment réussi le test et, comme chez les très jeunes enfants, s'arrêtaient davantage (1,5 fois plus longtemps) sur les situations physiquement impossibles. Selon les auteurs, les performances sont semblables à celles d'un bébé humain de six mois. Les corbeaux semblent même plus malins que les chimpanzés dans un cas, celui où l'œuf semble fixé sur le bord de la table (la situation 2 dans l'image au bas de cet article). Cette position surprend un corbeau mais pas un chimpanzé.
Le résultat ne bouleverse pas nos connaissances sur les capacités des corvidés mais il apporte une preuve supplémentaire de l'intelligence de ces oiseaux. Peut-être devrait-on regarder différemment les pies qui, depuis plusieurs années, pullulent dans les villes et leurs abords...
Ecrit par Hubert Reeves :
Avons-nous inventé l’art de manipuelr les nombres ? Qui le premier, sur notre planète, a su réaliser des opérations mathématiques ? Il semble bien que certaines petites “cervelles d’oiseaux” nous aient depuis longtemps précédés.
Avant d’entrer dans un grenier à grains, les corbeaux s’assurent qu’il n’y a personne à l’intérieur. Si trois personnes y entrent, ensemble ou successivement, l’oiseau, à l’extérieur, attendra que les trois personnes en soient ressorties, ensemble ou successivement. On peut recommencer avec quatre, cinq personnes, ç amarche encore. Certains corbeaux “forts en math” vont ainsi jusqu’à six.
Peut-on dire qu’ils savent “compter” jusqu’à six ? D’un enfant qui accomplirait la même prouesse, on le dirait certainement. Certains spécialistes contestent cette affirmation, taxée de “simplisme”. Pourtant il nous faut bien admettre que, d’une certaine façon, les nombres ne leur sont pas étrangers. Ils savent s’en servir. Mais quelles formes embryonnaires prennent-ils dans leur cerveaux ?
(Malicorne, Réflexions d’un observateur de la nature, Seuil, 1990)