Déforestation, épidémie par le virus Ebola, braconnage. Alors que l'on célèbre le séquençage du génome du chimpanzé, les grands singes orang-outan, gorille, bonobo et chimpanzé commun n'ont jamais été aussi menacés dans leurs milieux naturels. "On pourra conserver leur patrimoine génétique, mais tout ce qui concerne le comportement et l'écologie va disparaître" , redoute Pascal Picq (Collège de France).
Or la comparaison du génome de l'homme et de celui du chimpanzé marque, à son sens, les limites du réductionnisme génétique. "L'homme ne se réduit pas à ces quelques millions de nucléotides de différence avec le chimpanzé. Il faut aussi tenir compte d'effets combinatoires des gènes entre eux, mais aussi de la façon dont l'épigénétique l'environnement influence l'expression des gènes." Chez l'homme, mais aussi chez les grands singes et d'autres primates plus éloignés. "Par ces comparaisons génétiques, on espère dire ce qui fait l'homme, rappelle-t-il. Mais on oublie que le chimpanzé est aussi le fruit de l'évolution. Pour savoir ce qui fait le chimpanzé, il faudra analyser les génomes d'autres primates."
Pour le chercheur, il importe aussi d'instiller des sciences humaines dans la théorie de l'évolution. Mais si les grands singes disparaissent de leurs habitats d'origine, les travaux de terrain récents, montrant, par exemple, l'existence de pratiques "culturelles" différentes à l'intérieur d'une même espèce, ne pourront être poursuivis.
Les chiffres sont alarmants : les orangs-outans étaient au nombre de 50 000 à 100 000 il y a vingt ans. Ils ne sont que 4 000 à 7 000 aujourd'hui. Les effectifs des bonobos, 100 000 dans les années 1980, ne dépasseraient pas 10 000 à 50 000 individus. Le dénombrement des chimpanzés, répartis dans 21 pays d'Afrique, est difficile mais ils seraient 100 000, soit quatre fois moins nombreux qu'il y a dix ans. Depuis vingt ans, les populations de gorilles des plaines ont été divisées par deux avec seulement 17 000 individus recensés. Seuls les gorilles des montagnes connaissent un répit, avec un doublement des effectifs ces dernières années. Mais ils ne sont que 700...
RÉFLEXION ÉTHIQUE
En captivité ils sont 3 000 aux Etats-Unis , les grands singes ne sont pas saufs pour autant, car ils peuvent servir de cobayes. Sans eux, le vaccin de l'hépatite B n'aurait pu être mis au point. Mais la publication du génome du chimpanzé et les futures recherches médicales parfois invasives qui pourraient en découler devraient susciter une réflexion éthique, estiment Pascal Gagneux, James Moore et Ajit Varki (université de Californie, San Diego) dans Nature.
Ils suggèrent ainsi d'appliquer aux grands singes des règles éthiques s'inspirant de celles qui régissent les travaux sur l'homme. Mais aussi de s'interdire la production de singes transgéniques et de rechercher des modèles animaux de substitution.